samedi 5 juillet 2008

Mon blouson noir

- Avance, c'est toi qui as voulu sortir et maintenant tu traînes! il ne va plus rien rester! Je te préviens que, s'il n'y a plus de blouson, je vais m'énerver. Ça va faire comme la dernière fois, on est arrivées après tout le monde , merci bien. Ça ne sert à rien d'aller aux soldes dans ces cas là, tu n'as qu'à me donner l'argent et me laisser tranquille. Je ne sais pas pourquoi tu me colles, j'ai l'âge de faire mes courses toute seule. Tout ce qui t'intéresse, c'est de regarder les étiquettes pour voir si ça va se déformer ou si ça se lave, et pendant ce temps là, tout disparaît. Avance, c'est pas sorcier, un pied, puis l'autre, c'est sûr que si tu essaies de lancer les deux, ça ne peut pas marcher, tu le fais exprès ou quoi?
Elle m'enerve avec son cancer, elle n'a pas idée. On lui a d'abord prescrit quelques rayons, ça devait pas être méchant. Finalement, on lui a fait neuf chimiothérapies. A force de s'écouter, comme dit papa, elle a laissé s'installer la maladie. Du coup, elle n'a plus un cheveu sur la tête et sa perruque la démange,alors souvent elle la retire, on lui a dit que ça nous choquait un peu parce que son crâne chauve est gênant, mais elle la retire quand même. Pour rire, on l'appelle Tête d'oeuf, Yul Brynner. Le maquillage ne prend plus sur son teint jaune, mais elle s'acharne, alors elle en met trop, et l'autre jour, alors que je l'avais accompagnée faire quelques pas dans le jardin de l'hôpital, j'ai entendu quelqu'un dire Le travelo arrive, alors pour plaisanter, je lui ai conseillé de se faire embaucher dans un cabaret. Mais ça ne l'a pas fait rire. J'ai été obligée de préciser que c'était de l'humour, Oh là là un peu de recul , bordel!
Elle marche tout doucement, elle souffle comme un boeuf, je la soupçonne de boire, quand elle parle je comprends un mot sur deux et elle a le regard flou. Du coup, j'essaye d'être le moins possible à la maison quand elle s'y trouve, après les cours, je traîne au café et le week-end je vais chez des amis.
- Avance je te dis il y a 50%, mais s'il ne reste plus que les trucs à 20%, je ne vois pas l'intérêt, on sera venues pour rien. Avance, merde à la fin. Et cache ta poche à suint, elle dépasse.
Elle m'attrape le bras, ça m'exaspère, j'ai l'impression de promener ma grand-mère. Je vais lui acheter une laisse, avec un harnais, lui trouver une bonne raison de suffoquer. Elle accélère un peu, quand même. Je lui arrange le col de son manteau et elle me remercie, alors je m'énerve, il faudrait arrêter avec les remerciements, les soupirs et la mièvrerie. Elle me demande de me calmer, alors que je suis calme, je veux juste avoir mon blouson, noir, comme celui de ma copine. Maman dit que, s'il n'y en a pas dans cette boutique, on cherchera ailleurs, même non soldé, de toute façon elle tient à me l'offrir, elle me l'a promis, alors je lui dis que vraiment on n'a pas idée de foutre l'argent par les fenêtres comme ça. Les soldes, c'est pas fait pour les chiens. D'ailleurs je veux un chien. Au fait j'ai eu 3 en physique, mais de je m'en fous puisque je vais opter pour un bac littéraire, et je me suis fais virer du cours de gym parce que je fumais dans le vestiaire, tu veux peut-être me faire une leçon sur le tabac? Vas-y qu'on rigole.
Dans le magasin, tout le monde la regarde, elle ressemble aux images des livres d'histoire, avec seulement les os sur la peau, et le visage diaboliquement amaigri, comme dit le prof d'histoire. Du coup, on nous sert en premier, quelqu'un lui propose une chaise, et moi je lui dis que ça va, quand même, pour deux minutes elle peut rester debout. Elle trouve mon blouson joli, elle me tend des gilets, de gros pulls avec un grand col, des manteaux, des écharpes, elle demande s'il y a des bonnets, elle dit qu'il faut que j'aie bien chaud l'hiver prochain. On lui fait répéter. Articule! on ne comprend rien, c'est les soldes, tu piges ou pas? Les vendeurs ont autre chose à faire que d'essayer de lire sur tes lèvres, alors fais un effort! Elle me trouve une parka avec une capuche en fourrure, et de larges poches, elle dit que c'est bien d'avoir des poches, qu'on peut tout mettre dedans et voyager léger. Je lui dis que je ne pars pas en voyage, alors elle insiste, tu me la prêteras, prends la.
Elle m'enerve avec ses réflexions. La mère de ma copine, quand elle a eu son cancer, elle n'en a pas fait une histoire, et aujourd'hui elle est guérie. Elle a vécu comme si de rien n'était. Peut-être que ce n'etait pas généralisé, mais elle a fait des efforts, et la volonté est la clef du succès, c'est tout. Alors que si on pense qu'a soi forcément. Si ma mère pensait un peu à nous, à moi, elle ne se laisserait pas tomber si bas, c'est impossible il y a quelque chose de sadique dans sa manière de nous imposer sa maladie, elle nous la transmet. Allez , on sort d'ici, on nous a assez regardées. J'ai envie de rentrer. De toute façon je déteste quand maman me gâte, ça me donne envie de pleurer, même quand elle n'était pas malade je n'aimais pas ça, cette impression de lui avoir fait partager un moment de ma journée, ce qui pour moi n'est rien que du profit, et pour elle un peu de détente et d'oubli. Mais elle ne veut pas rentrer , elle tient a m'acheter des bottes en cuir pour la ville , et aussi des bottes fourrées. Je lui dis qu'on verra l'hiver venu, mais elle trouve que c'est bien de les acheter maintenant. Pendant que j'essaye une paire qui me plaît, elle enfile des bottes dans lesquelles elle se sent bien, elle dit que ça tient trés chaud et que c'est agréable, alors la vendeuse s'exclame, par cette chaleur je ne sais pas comment vous faites! Quelle connasse celle-là aussi! Ça la concerne? Ma mère me fait les gros yeux et en prend une paire, elle dit qu'elle les garde aux pieds, et on sort du magasin.
Elle me demande si elle peut retirer sa perruque, la chaleur lui fait gonfler la tête, elle va mettre un foulard. Elle se cache comme elle le peut derrière un arbre et remplace ses faux cheveux par un turban mal noué.
- Tu l'as mis de travers, on dirait une folle.
- Tu me l'arranges, s'il te plait?
- Si je t'aide, tu retires tes bottes fourrées. Je ne veux pas qu'on nous regarde.
On dirait qu'elle n'entend pas, mais comme dit papa, le cancer ne rend pas sourd, en tout cas pas celui-là, c'est la preuve qu'elle fait la sourde oreille. Elle a envoyé sa tête en vacances, c'est facile , à nous de nous débrouiller avec son corps dégoûtant. C'est moi, hier soir encore, qui lui ai lavé les jambes. Elle m'a appelée de la baignoire, elle ,n'arrivait plus à les bouger.
Elle veut m'acheter un goûter, à quatre heures, il faut manger. J'accepte à condition qu'elle prenne aussi un gâteau, mais elle a la nausée, et je lui demande s'arrêter de s'écouter. Elle me dit de la laisser en paix, juste le temps qu'elle parte. Et elle le dit pour moi, elle va mourir, d'ici peu de temps. Elle dit Écoute moi, même si c'est difficile à accepter, je vais mourir et c'est presque fait. Je ris, jaune, comme mon père qui a souvent les larmes dans les yeux ces temps derniers, comme mon frère qui baisse le nez et n'en finit pas de muer , sa voix part haut, puis bas, paradis ou enfer, il choisit, ne sait pas, il a sûrement peur depuis longtemps, comme moi.
Je hurle. Si ma mère n'était pas là, qui me dirait les choses tout simplement, comme ça? Elle, je peux la croire quand elle dit qu'elle va crever. Pas les docteurs qui avaient promis de la sauver. On s'assoit sur un banc. J'enfile mes bottes fourrées, mon pull et mon blouson, noir. L'hiver prochain sera rude, j'ai encore sa chaleur à emmagasiner. Je la laisse glisser sa main gelée dans ma poche. En avant. Chez nous, on y est presque, c'est comme le coeur, au bout de l'artère, c'est la première à gauche.

vendredi 4 juillet 2008

Mon amie

Ce jour là, en fin de journée t'as rappelé à la maison. Après ce qui s'est passé tout à l'heure je pensais que tu voulais savoir si j'avais encaissé ta sale blague de l'après midi. Mais comme à chaque fois tu n'as parlé que de toi. Tu n'as jamais été très généreuse. A 18 piges, quand on sortait toutes les deux, c'était moi qui raquais. Toi tu n'avais jamais un rond. Enfin si, mais pas pour ça, ou alors des billets tellement gros que ça t'embêtait de les sortir. Récemment c'est marrant, j'ai vu un film sur un mec radin qui avait de gros problèmes de constipation... J'ai cru comprendre que c'était étroitement lié. Sortir un bifton ou chier un coup, c'est un peu la même chose. Vous les pingres, vous gardez tout pour vous....

ça m'a rappelé nos vacances à Cassis. On était parti entre filles et tous les matins, aux toilettes, on t'entendait pousser dans le vide. Moi qui n'ai jamais été très cliente de ce genre d'histoire, au bout d'une semaine, comme les autres, j'avais demandé si tu avais fini par régler tes problèmes de ventre, pour qu'on change de sujet. C'est vrai, c'était pénible cette façon de tirer la couverture, puisqu'au bout du compte il ne se passait rien. Pourtant, je suis sûre que tu allais faire ça ailleurs. Mais plutôt crever que d'avouer que tu allais mieux.

A l'époque, même si déjà tu ne parlais que de toi, de ton four à micro-ondes qui ne chauffait rien, de tes amants mariés et de ton dernier mec que tu venais de piquer à ta mère, j'avais encore l'impression que l'on échangeait vaguement des choses. Ce que tu disais n'était pas palpitant, mais avec toi j'aimais bien m'ennuyer. Il faut dire que quand tu arrêtes d'être barbante, tu deviens très vite monstrueuse.

Il y a vingt ans, quand j'ai rencontré l'homme de ma vie (contrairement à toi j'aime les histoires qui durent) j'ai voulu que tu le rencontres. Tu es mon amie, il est mon amour, logiquement vous auriez dû vous plaire. C'est ce qui s'est passé, jusqu'au moment ou sans me demander mon avis, chez moi, entre le thé et la tarte aux pommes, tu as sorti un projecteur de ton sac. Tu voulais nous montrer les diapos de tes dernières vacances. Je n'ai rien vu venir, j'ai dit oui. Le mec que tu avais amené avec toi pour faire la claque était trés excité. On peut le comprendre, pour des souvenirs de vacances ce qu'on voyait était plutôt surprenant. Entre deux paysages de je ne sais plus quel pays, tu étais sur chaque photo de moins en moins habillée. Et moi, quand j'ai vu pour la quinzième fois ton cul noir foncé sur le sable blanc, j'ai commencé à manquer d'air. Et l'autre là, qui s'extasiait sur ta beauté, j'avais envie qu'il s'en aille. Mais c'est surtout contre toi que j'étais en colère. J'organise un goûter d'enfants pour te présenter l'homme de mes nuits et toi, tu viens casser tout ça en installant une ambiance à la con. Tu veux quoi ma salope? Partouzer ou juste me faire de la peine? Enfin, dans mon malheur j'ai de la chance tu n'as jamais plu à mes fiancés. Mais ça, on ne le sait qu'après et je n'aime pas jouer avec le feu. Seulement de toi je supporte tout. Tu es mon exception.

La première fois je t'ai vu à une fête ou comme d'habitude personne ne m'invitait à danser, j'ai trouvé qu'il y avait autour de ta petite personne une lumière particulièrement belle, non, mais tu irradiais. A tes côtés la vie était légère et ça c'était nouveau. Dans mon entourage tout le monde pesait 4 tonnes et gentiment j'avais pris ma part. Alors ce qui devait arriver arriva, j'ai été en manque des que tu as quitté la pièce.

Tu es aussi la seule fille avec qui j'ai pu partager un lit Je ne sais pas pourquoi mais dormir avec toi n'est pas gênant. Peut être parce que tu ne sens rien c'est incroyable d'ailleurs.

Il suffisait que tu me siffles et j'étais là. Même au bout du monde. En plus loin de chez nous on s'agaçait moins. Tu t'amusais de ma distraction et moi j'aimais ton sens de l'organisation. Quand on était toutes les deux, sans témoins, de temps en temps, tu oubliais d'être diabolique.

Quand tu m'as présenté ton mari, naïvement, j'ai espéré, que tu arrêterais tes histoires de cul tordues C'était mal te connaître (tu vois parfois tu m'étonnes encore), même mariée, au 9ème étage d'un immeuble glacial et chic, tu t'es démerdée pour avoir un amant au 11ème......Que tu m'as emmenée voir pour me faire honte. Je détestais que tu prennes ton mari pour un niais et que tu le fasses manger froid, lui aussi (toujours cette saleté de micro-onde) alors qu'il s'épuisait à rendre ta vie confortable. C'était un bon gars et comme moi, il t'aimait. Seulement le blé qu'il gagnait pour deux n'arrivait pas à combler tes manques. Deux ans plus tard, après avoir usé trois décorateurs, quand l'appart du neuvième a été à ton goût et l'amant du onzième plus du tout, tu t'es mise à chercher un nouvel endroit, plus cher et plus grand.
Aujourd'hui, déménager est devenue ton activité principale. Et entre deux amants, tu continues de faire casquer ton homme qui ne te fait plus jouir. A chaque fois tu t'installes quelque part, comme tu sais que j'étouffe dans l'appart trop petit que j'ai du mal à payer, tu m'appelles... Et j'accours. Te voir prendre ton pied en me regardant m'enthousiasmer devant tes maisons de plus en plus grandes, au début j'ai trouvé ça blessant. Puis je me suis habituée. Tu es comme ça, qu'est ce qu'on peut y faire.
Dans ta dernière baraque, comme tu ne savais plus quoi faire pour retarder les travaux ( les maisons finies te filent le cafard) tu as demandé qu'à l'étage, on construise une trappe pour balancer ton linge de ta chambre à la buanderie. Une idée qui n'a pas fait le bonheur de tout le monde. En repassant tes fringues, ta femme de ménage s'est pris un nombre incalculable de culottes sales sur la tête. Tu es vraiment une drôle de fille et souvent je suis terrassée par ta vulgarité.
Chaque été, dans tes villas en bord de mer louées une fortune, tu bronzes au-delà du supportable. Un soir, en te voyant avec une autre amie aussi blonde que toi, je me souviens d'avoir eu peur pour vous. Vous étiez toutes les deux tellement cramées par le soleil que cette nuit-là, dans le noir, on ne voyait plus que vos dents. Par chance vous étiez très rieuses. C'est ton homme qui m'avait invitée, soi-disant pour te faire plaisir. De m'avoir près de toi, blanche et grasse, ne te déplaisait pas je crois.
Et puis, un été, sans raisons apparentes, l'invitation n'a pas été lancée. Privée de vacances dans les jolies cabanes au bord de l'eau. J'ai sans doute payé le prix fort de savoir que sous ton bronzage, ta bonne humeur et tes dîners divins, tu étais.... Malheureuse. Mon lot de consolation? T'apercevoir le reste de l'année, entre deux portes. J'ai fait avec, comme toujours. Parce que c'est toi qui donnes le ton. Tu sais trés bien à quel moment tu dois me caresser la tête pour que je revienne me faire maltraiter.
Exceptionnellement, il arrive que je tire la première. Quand j'ai eu un enfant, tu en as voulu un tout pareil. Pour mater l'engin, tu es même venue fumer dans la piaule du bébé. Je t'ai rarement vue aussi nerveuse. Quelques mois plus tard tu as fait une fausse-couche et la vie nous a éloignées. J'étais moins disponible, tu es devenue distante. Et sans que je sache pourquoi, tu n'es pas venue à nos derniers rendez-vous.
Pourtant, cet aprés-midi, j'ai enfin le droit de te garder pour moi quelques heures. Des siècles que j'attends ça. Quand tu m'as ouvert la porte tout à l'heure, je t'ai trouvée changée. Je t'avais quitté maigre et noire au retour des vacances, je te retrouve grassouillette... Et si pâle. Me voir dans cette nouvelle maison que je ne connais pas a l'air de t'amuser beaucoup. Et moi je plane. Seulement, très vite, tu m'annonces que tu as une surprise. Pour moi? Quelle horreur! Je te connais, je m'attends au pire.

Tu m'emmenes grimper dans les étages. Je tremble. Tu pousses la porte d'une chambre et je suis tellement troublée que je ne vois rien. Elle est ou la surprise? Je te regarde sans comprendre. Tu me demandes d'avancer. J'obéis... Et là, je découvre un petit lit, avec dedans un nouveau-né qui dort. Je crois que j'ai pigé, mais c'est tellement atroce que tu me le montres comme ça, tout fait, que je ne peux pas rester dans cette pièce.

Je te demande un alcool fort et si ce bébé est bien sorti de ton joli ventre, que je n'ai jamais vu s'aarondir. La réponse est oui. Pour être sûre, je compte les mois qui nous ont séparées.. sept mois. Je comprends tout. Nos rendez-vous annulés, pour me punir d'avoir couru un peu moins vite, t'ont permis de me concocter cette mise en scène abominable. Moi qui bois très peu, je me suis pétée la gueule. J'ai bu à ton gamin et à son étrange arrivée dans la vie. Au cinquième verre, ivre morte, j'ai salué ta trahison. A la tienne ma belle!

J'ai fait la maligne, mais au fond tu sais bien que je suis en miettes.
Pourtant si tu cherches à abîmer cet amour inexplicable que j"ai pour toi, tu t'es encore plantée. Je ne te lacherai pas. Tu es mon amie, ma méchante amie, mais c'est toi que je préfère.